Les poils du chat de Schrödinger vous donnent des démangeaisons ? La perspective d’un univers holographique vous met à plat ? L'explication de la double fente vous entre par une oreille et sort par l’autre (à moins que ce ne soit les deux) ? Pourquoi les concepts de la nouvelles physique nous sont ils aussi obscurs, alors que ceux de la mécanique newtonienne peuvent aisément se comprendre ?
Limitation intrinsèque de notre cerveau ou difficile transformation de notre culture ? Pour certains la messe est dite : l’être humain est un primate de la savane, et la compréhension de l’univers dans sa totalité lui est à jamais exclue. C’est l’opinion de l’astrophysicien Martin Rees, pour qui : « Peut-être certains aspects de la réalité sont-ils intrinsèquement au-delà de nos capacités d’analyse, leur compréhension nécessitant un intellect posthumain – tout comme l’appréhension de la géométrie euclidienne se situe au-delà des possibilités des primates non humains. Certains pourraient objecter qu’il n’existe pas de limite à ce qui est calculable. Mais il existe une différence entre ce qui est calculable et ce qui peut être connu conceptuellement. Quiconque a appris la géométrie cartésienne peut facilement visualiser une figure simple – une ligne ou un cercle, si on lui fournit l’équation correspondante. »
Pour lui pas de doute, une pleine compréhension des mécanismes de la réalité appartient à des posthumains.
Peut être. Mais dans l’attente, il est intéressant de comprendre pourquoi certains concepts ont du mal entrer dans notre tête. Une expérience réalisée à l'université Carnegie Mellon, originalement présentée dans NPJ Science of Learning, et rapportée par Discover Magazine ainsi que par Science Daily cherche précisément à comprendre cela, à l’aide de l’outil favori des neurosciences contemporaines, l’IRM fonctionnelle.
L’étude du fonctionnement du cerveau a déjà montré que lorsqu’on pense à un objet ou un concept, certains patterns neuronaux ont tendance à s’activer. Pour reprendre un exemple classique, si je pense à un marteau, les neurones correspondant à la préhension de l’objet, le mouvementent de frapper avec, se mettent en branle. La plupart des concepts de la physique classique sont en mesure d’être, de la même manière, représentés de façon perceptuelle ou liée à un mouvement. Ainsi, nous disent les auteurs : « Par exemple, alors qu'on ne peut voir directement une force, les physiciens peuvent imaginer "une flèche de force" possédant des taille et direction définies et agissant sur un objet matériel. De même, l'énergie contenue dans un système ne peut être visualisée directement, mais l'idée intuitive d'une quantité conservée mais changeant de forme peut être accessible à l'expérience perceptive humaine. »
Les choses changent lorsque des concepts plus abstraits sont invoqués par la nouvelle physique, comme la relativité de l’espace et du temps, la dualité onde-particule ou la matière noire. Car ils sont bien plus difficilement appréhendés par l’intuition (l’exemple de la matière noire est souvent utilisé dans le texte de Nature, alors que personnellement je ne vois pas trop la difficulté à concevoir cela intuitivement : c’est de la matière, qui est, bon, euh, noire, même si bien sûr cela recouvre quelque chose d'infiniment plus complexe!).
On a donc examiné le cerveau de physiciens, et on s’est rendu compte que ces derniers catégorisaient leurs concepts en fonction d’une série de critères ; comme ce qui est mesurable et ce qui ne l’est pas. Ou ce qui est périodique ou non. Ainsi, nous rappelle Science Daily, les ondes radio ont une périodicité, et le multivers n’en a pas. Ensuite, les neuroscientifiques sont parvenus à prédire à partir du système de catégorisation qu’ils avaient découvert dans le cerveau des physiciens comment tel ou tel concept abstrait allait se manifester chez ces derniers. Et chose importante, lorsqu’on a testé les cerveaux des physiciens soumis à l’expérience, les mêmes circuits s’activaient systématiquement, quelle que soit leur université d’origine, leur nationalité ou leur culture. Cela a des implications en matière d’éducation, comme l’a expliqué Robert Mason, le principal chercheur, dans Discovery : « Cela sonne comme de la science-fiction, mais nous pourrions être en mesure d'évaluer les connaissances des étudiants en comparant leur état cérébral à celui d’un expert exprimant les mêmes connaissances, puisque ces états sont mesurables et cohérents d'un expert à l'autre ? »
L’article de Discovery note aussi une possible corrélation entre notre acquisition de nouveaux concepts avancés et notre compréhension d’une histoire : « Les concepts postclassiques exigent souvent que ce qui est inconnu ou non observable soit mis en relation avec ce qui est déjà compris. Or, ce même processus est souvent nécessaire à la compréhension du déroulement d'un récit ; les régions du cerveau qui s'activaient lorsque les physiciens réfléchissaient à certains concepts postclassiques lors de cette étude s'activaient également lorsque des lecteurs jugeaient la cohérence d'un nouveau segment d'histoire selon une autre recherche. »
Que déduire de tout cela ? L'universalité des processus cérébraux mis en œuvre par les physiciens, indépendamment de leurs différences personnelles, tend à prouver que le cerveau humain possède les ressources pour traiter les nouveaux concepts de la même manière que les anciens. Pour résumer, je pense à l'espace-temps de la même manière que lorsque je pense à un marteau. D’ailleurs, l’article de Science Daily précise bien que « lorsque les physiciens traitent des informations sur l'oscillation, le système cérébral qui entre en jeu est celui qui traiterait normalement les événements rythmiques, tels que les mouvements de danse ou les ondulations dans un étang. »
Cela va dans le sens de quelque chose qu’on savait déjà (par exemple avec les neurones de la lecture chers à Stanislas Dehaene) : que les structures archaïques de notre cerveau sont capables de se réorganiser, s’adapter pour affronter des expériences inédites. Ce qu’on savait pour la lecture ne s’arrête pas à celle-ci : notre cerveau peut également s’entraîner à la compréhension des trous noirs, de l’intrication quantique, de l’espace courbe. Nous ne sommes définitivement pas limités à courir dans la savane.
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